Article rédigé par Stéphane Amant – Senior Manager – stephane.amant@carbone4.com
La Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) a rendu ses propositions le 20 juin dernier [1]. Pendant des mois, ce panel de citoyens, tirés au sort et représentant au mieux la diversité de la population, s’est documenté de manière intensive sur le changement climatique et ses impacts, puis a travaillé sur des mesures à même de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) à des niveaux compatibles avec les engagements de la France. Parmi les 150 mesures proposées par ces citoyens lambda, la réduction de la vitesse maximale sur autoroutes (VMA) à 110 km/h (contre 130 km/h actuellement) a déclenché un raz-de-marée de critiques et a fait les belles heures des chaînes d’infos en continu, à travers moults débats enflammés. Mais pourquoi donc autant d’hystérie collective pour une mesure non technocratique, proposée via un processus démocratique par des mesdames et messieurs Toutlemonde ? Pourquoi autant de vociférations pour une mesure somme toute bénigne et surtout bénéfique pour le climat, le pouvoir d’achat, la santé et la sécurité ?
Revenons un peu plus d’un an en arrière. Vous vous souvenez certainement du ramdam provoqué en France en 2018 par la décision gouvernementale de baisser à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur route (à double sens de circulation). Cet élément avait été l’un des facteurs déclencheurs du mouvement des Gilets Jaunes. C’est dire si le sujet de la vitesse sur les routes est sensible dans notre pays. A un point tel qu’une énergie considérable avait déjà été dépensée à l’époque par les acteurs de ce débat, occultant à cette occasion des questions de société bien plus essentielles, comme le système de santé, la prise en charge des personnes âgées, le système de retraite, la question des migrants ou la lutte contre le changement climatique bien sûr [2]. Carbone 4 déjà publié à plusieurs reprises sur le sujet [3][4].
En passant à 110 km/h sur autoroutes, la France ne serait pas un cas isolé. Chez nos voisins d’Outre-Manche, au Royaume-Uni, la limitation des 110 km/h est déjà en vigueur alors que le pays a une culture automobile très forte. Le cas le plus intéressant est celui d’un autre pays voisin qui n’a pas fait pas dans la demi-mesure : les Pays-Bas ont mis en application depuis le 16 mars la baisse drastique de la vitesse maximale autorisée sur autoroute de 130 à non pas 120, ni même 110, mais …100 km/h ! [5][6]. Cette réglementation préserve toutefois une plage horaire entre 19h et 6h du matin pour les nostalgiques du 130 km/h.
Ce qui intéressant par rapport au choix de la CCC, c’est que la décision néerlandaise s’inscrit explicitement dans une stratégie visant à réduire les émissions de GES du pays, dans un contexte ou l’Etat néerlandais avait perdu en justice contre la société civile pour inaction climatique dans un procès désormais devenu célèbre (l’affaire Urgenda [7]). La position courageuse adoptée par les Pays-Bas est d’autant plus à saluer qu’elle a été prise par un gouvernement dominé par un parti conservateur, plutôt considéré comme pro-automobilistes, et surnommé à ce titre le parti Vroum-Vroum !
Pourquoi l’adoption d’une mesure similaire, mais moins radicale (110 km/h et non 100 km/h), suscite-t-elle autant de rejet ? C’est assez énigmatique … d’autant plus que les automobilistes ne roulent déjà pas tous à 110 km/h – loin s’en faut – et d’ailleurs les plus défavorisés sont certainement peu concernés, car ne prenant pas les autoroutes (parce qu’ils font moins de voyages longue distance et aussi à cause des péages), et/ou réduisant déjà leur vitesse pour consommer moins.
Pour rappel, les réductions d’émissions de GES permises par ce type de mesure serait d’environ 1,5 à 2 MtCO2 par an [8] [9], un ordre de grandeur comparable au gain escompté par l’augmentation de la fiscalité essence / diesel, ou par la mise en place du service public de rénovation énergétique ou encore par le soutien à l’agriculture biologique et raisonnée. Ça ne fait pas tout, loin de là, mais si au prétexte que ça ne fait pas tout, on ne fait rien, tout le monde comprendra aisément qu’il n’y a pas d’issue …
Alors que le mouvement populaire des Gilets Jaunes a rapidement mis en avant la volonté de traiter de concert « fin du monde et fin du mois », voilà une mesure qui permet justement de concilier bénéfices climat et préservation du pouvoir d’achat. Car l’écart de consommation d’énergie entre 110 et 130 km/h, c’est quand même de l’ordre de 25 à 30%, ce qui n’est pas neutre pour le porte-monnaie. Il est incompréhensible que cet argument fort en faveur de la mesure ne soit pas davantage pris en compte dans le débat.
Alors oui, réduire la VMA sur autoroutes à 110 km/h, c’est accepter de passer quelques minutes supplémentaires sur la route pour rejoindre sa destination : en gros 5 à 8 minutes tous les 100 km. Est-ce à ce point insurmontable qu’il faille crier au scandale et, comme on a pu le lire, à une mesure liberticide ? [10]. Pour un automobiliste effectuant 1200 km par mois (ce qui est déjà supérieur à la moyenne nationale), en supposant que la moitié se fasse sur autoroute (ce qui est un majorant), alors on arrive au chiffre effrayant de … 12 minutes de temps de trajet supplémentaire par semaine. Aller moins vite, ça n’est ni interdire, ni contraindre la mobilité, stop aux caricatures …
En réalité, cette controverse est à mon sens l’incarnation concrète d’un débat bien plus large sur la signification de ce que doit être la liberté individuelle, le terme revenant sans cesse dans la bouche des opposants à cette mesure. La liberté individuelle d’aller vite sur autoroutes doit-elle primer sur la liberté de conserver des conditions de vie décentes pour tous, automobilistes et non-automobilistes, contemporains et descendants ? Plus globalement, faut-il renoncer à certaines libertés individuelles pour préserver le climat ? Car c’est bien de cela dont il s’agit. On pourrait par exemple demander à un panel de citoyens représentatif de la diversité du pays de faire des propositions, puis de les soumettre à référendum, après que les termes du débat aient été rendus accessibles à toutes et tous …
Si nous n’acceptons pas de débattre de cette question de manière adulte, collectivement et démocratiquement, sans taper des pieds à la manière d’un enfant faisant un caprice, alors on ne peut être que très pessimiste sur notre capacité à apporter des réponses à la hauteur de l’enjeu du changement climatique.
C’est d’autant plus inquiétant que quel que soit le mode prise de décision, la défiance semble irrémédiable : envers les instances démocratiques, mais aussi envers les citoyens eux-mêmes. Députés, gouvernants, gens de la rue, Gilets Jaunes : tout le monde dans le même panier finalement ? Autant d’incohérence serait presque risible si le sujet n’était pas aussi grave.
Reflet de la société française et donc en majorité non-militants de la cause écologique, les citoyens composant la CCC étaient certainement dans leur ensemble contre ce type de mesure avant de mettre le nez dans le dossier du changement climatique. Les contempteurs de la mesure des 110 km/h se sont-ils demandé pourquoi ces citoyens avaient changé d’avis ? Parce qu’ils ont compris l’urgence de la situation et ont vu dans cette mesure une action sans regret : qu’est-ce que « perdre » quelques minutes sur la route par rapport à la question du maintien de nos conditions de vie sur Terre ?
Article rédigé par Stéphane Amant – Senior Manager
stephane.amant@carbone4.com
Sources :
[1] Convention Citoyenne pour le Climat
[2] LinkedIn
[3] Carbone 4
[4] Carbone 4
[5] NL Times
[6] Ouest France
[7] Journal de l’Environnement
[8] ADEME
[9] MTES
[10] Automobile-magazine