Entre
2030 et 2050, les changements climatiques devraient générer près de 300
000 décès supplémentaires par an, en accroissant la malnutrition et la
sous-alimentation des enfants, les maladies transmises par des insectes,
les diarrhées et les stress liés à la chaleur. Les influences
potentielles de ces changements sur la santé sont donc multiples et
liées. A ces dommages, il faut ajouter les migrations de populations
fuyant des modifications profondes de leur cadre de vie : diminution des
rendements agricoles, inondations, élévation du niveau des mers… Près
de 250 millions de « réfugiés climatiques » sont attendus à l’horizon
2050. Chacun a en mémoire l’excès de mortalité en Europe lors de la
canicule de l’été 2003 où l’on a recensé 70 000 décès sur le seul mois
d’août. Les effets climatiques sur les maladies infectieuses sont plus
complexes. Mais les entomologistes sont convaincus que l’élargissement
des zones chaudes et humides à la surface du globe décuplerait les
populations d’insectes vecteurs de virus. Enfin, les impacts économiques
des changements climatiques sont éloquents : le coût estimé des
dommages directs pour la santé se situe entre 2 et 4 milliards de
dollars par an d’ici 2030.
1. Un constat alarmant
La température a augmenté d’environ 0,85°C dans le monde au cours des
130 dernières années. Cette augmentation est essentiellement due à
celle des gaz à effet de serre. Ces 25 dernières années, le rythme s’est
accéléré et l’on est à plus de 0,18°C de réchauffement par décennie [1].
Le niveau des mers s’élève, les glaciers fondent et la répartition des
précipitations change. A ces événements factuels, s’ajoutent des
changements climatiques globaux, plus complexes à mesurer et qui se
manifestent, entre autres, par des événements météorologiques extrêmes
(sécheresse, inondations, vagues de chaleur) augmentant en intensité et
en fréquence (Lire Cyclones tropicaux : impacts et risques).
A part quelques rares effets du changement climatique que l’on pourrait
considérer comme positifs (ex. baisse de la mortalité hivernale dans
les zones tempérées), ceux-ci apparaissent délétères pour la santé. A
titre d’exemple, on peut citer les impacts négatifs du changement
climatique sur les rendements de la plupart des cultures. Dans leur
cinquième rapport d’évaluation [2], les membres du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)
constatent de nombreuses périodes d’augmentation très rapide du prix
des produits alimentaires et des céréales, suite à des événements
climatiques extrêmes (incendies géants, tempêtes, inondations).
Cela a (et aura) un impact très fort sur les populations les plus
pauvres, pour qui l’achat de denrées alimentaires est alors devenu très
difficile. Un rapport de 2009 publié par la revue britannique The Lancet[3] avait identifié le changement climatique commela plus grande menace mondiale pour la santé publique au 21e siècle. Le jeudi 29 novembre 2018, The Lancet
a publié la deuxième édition de son rapport « Lancet Countdown » dédié
aux aspects sanitaires du changement climatique. Fruit d’une
collaboration entre 27 institutions universitaires, agences onusiennes
et intergouvernementales de tous les continents, ce document révèle le risque « inadmissible » pesant sur la santé actuelle et future des populations du monde entier, en raison du changement climatique.
En conclusion les effets du changement climatique sont déjà
perceptibles aujourd’hui et les projections pour l’avenir représentent
un risque potentiellement catastrophique et d’une ampleur
difficilement acceptable pour la santé humaine. Enfin les effets du
réchauffement climatique sur la santé humaine s’ajoutent aux effets des
changements liés à la globalisation (changements démographiques,
changement sociaux, activité économique) [4].
2. Quels effets sur la santé de l’homme ?
Figure
1. Modélisation des effets sur la santé humaine, liés à la température :
augmentations de températures (+1,5°C et +4°C) sur différentes périodes
de temps. Les données semi-quantitatives sont exprimées en unités
arbitraires. Les potentiels d’adaptation face à ces risques sont bien
décrits dans les références [2] & [4]. [source: Smith KR et al.
(2014)]La figure 1 résume les effets du changement
climatique sur la santé humaine. Globalement on peut distinguer deux
types d’effets :
(a) les effets directs : malnutrition et sous-alimentation (sans doute
le plus important), mortalité et morbidité liés aux événements extrêmes
(vagues de chaleur), mortalité et taux de morbidité liés aux maladies
infectieuses (transmissions par vecteurs et infections d’origine
alimentaire et hydrique).
(b) les effets indirects sur la santé : disponibilité de l’eau, accès à la nourriture, élévation du niveau des mers,….
Mais bien d’autres pathologies sont liées aux changements climatiques :
Figure
2. Du réchauffement climatique aux changements globaux. Le
réchauffement climatique induit de nombreux changements environnementaux
(sur la biodiversité, les écosystèmes, etc.) qui ont à leur tour des
impacts considérables sur les activités économiques, etc.
(a) le stress mental post-traumatique lié aux événements extrêmes et
aux phénomènes migratoires qui peuvent en découler pour les réfugiés
climatiques ;
(b) les pathologies respiratoires liées à la pollution atmosphérique,
telle la teneur en ozone qui augmente avec la température.
L’accroissement des températures devrait également augmenter les
allergies. plus complexes à évaluer dans le cadre du changement
climatique.
Nous commencerons cet inventaire en citant certains effets directs et
incontestables (ex : vagues de chaleur), puis nous continuerons ce
chapitre vers des sujets plus complexes (ex : malnutrition) associés à
de nombreux facteurs au-delà du climat (notamment géopolitiques et
démographiques) (Figure 2).
2.1. Vagues de chaleur mortelles
Figure
3. Cartes représentant l’anomalie de températures par rapport aux
moyennes saisonnières, au niveau de l’Europe en aout 2003 : En France,
les 11 et 12 août 2003 ont été les plus meurtriers, cette surmortalité
étant dû à un effet cumulatif des jours chauds précédents, associé à une
absence de vent et une pollution par l’ozone.
Survenue de juin à août, la canicule européenne de 2003 est un
événement climatique d’ampleur exceptionnelle. Marquée par de nombreux
records de température au cours de la première quinzaine du mois d’août,
elle n’aurait pas eu d’équivalent depuis le XVIe siècle [5]. Cette
canicule avait suivi un printemps exceptionnellement chaud et sec avec
des températures atteignant déjà les 30°C fin avril à certains endroits.
Associée à une sécheresse record, cette canicule rappelle la vague de
chaleur de l’été 1947 en Europe et la sécheresse de 1976 (Figure 3).
Dans certains pays, comme la France ou le Portugal, les conséquences
furent importantes sur les écosystèmes, le niveau des récoltes (-20% en
France), la population, et les infrastructures… provoquant même une
crise politique. Différentes sources (Inserm, Insee, INED ; ) convergent
aujourd’hui vers une estimation d’environ 15 000 décès en excès en
France, soit une surmortalité de +55% ! Un excès de décès observé
majoritairement chez les personnes âgées. Le groupe d’âge le plus
atteint est celui des plus de 75 ans. A âge égal, les femmes ont été
plus touchées que les hommes. Les signes rapportés étaient les suivants :
crampes musculaires, épuisement dû à la chaleur, mortalité par coup de
chaleur (décompensation cardiovasculaire).
Figure
4. Expansion planétaire (avec une échelle de couleur allant de 0 à 1 en
fonction du degré d’expansion) du moustique-tigre (vecteur de maladies
virales i.e. Chikungunya, Dengue, Zika) aussi appelé Aedes albopictus
versus Aedes aegypti (vecteur de la Dengue, Fièvre Jaune)
Cette canicule restera un point de référence pour les événements
antérieurs et postérieurs du même type. D’autres canicules ont été
depuis enregistrées dans le monde, notamment aux USA durant l’été 2012
(Figure 4). Ce dernier événement, après un hiver doux et pluvieux, a été
associé à une recrudescence de cas d’encéphalites de West Nile
(encéphalites d’origine virale – Virus West Nile) [7] (voir Tableau 1). Une étude récente [8]
conclut que près d’un individu sur trois dans le monde serait exposés à
des vagues de chaleur potentiellement mortelles, une proportion qui
pourrait grimper à trois sur quatre à la fin du siècle, si les émissions
de gaz à effet de serre se poursuivent à leur rythme actuel.
2.2. Des maladies infectieuses vectorielles à la hausse
2.2.1. Données générales
L’expansion des insectes vecteurs de microbes infectieux est due à
plusieurs facteurs : (i) La hausse des températures hivernales
augmenterait leur période d’activité (et donc de reproduction) et ainsi
modifierait le profil épidémiologique des maladies vectorielles à
moustiques et à tiques (transmission continue due à une quasi-absence de
diapause).
(ii) Les sécheresses incitent à stocker l’eau dans des citernes
propices à la prolifération des moustiques. (iii) Les pluies à leur tour
créent des points d’eau favorables au développement des moustiques.
Figure
5. Probabilité d’extension du Virus West Nile (WNV) aux USA (la
résolution de ces cartes ne doit pas faire illusion sur les nombreuses
incertitudes inhérentes à ce type de prédiction) [source : d’après
Harrigan et al.]Ainsi la diffusion géographique des virus transmis par les moustiques [9] – les arbovirus (arthropod borne viruses)
– devrait s’étendre. Elle pourrait notamment engendrer une hausse
globale du nombre de cas de fièvre jaune, de dengue et de leurs
complications hémorragiques. Plusieurs arboviroses sont transmises par
des moustiques du genre Aedes (250 espèces vectrices de
nombreux virus), très sensibles aux variations climatiques. Vecteur de
maladies virales telles que le Chikungunya, la Dengue et le Zika, le
moustique tigre Aedes albopictus est en pleine expansion
planétaire. Originaire d’Asie, il a traversé les océans et c’est l’un
des agents vecteurs les plus invasifs sur la planète aujourd’hui [10]
(Figure 5). On le retrouve déjà dans quelque 80 pays, dont la France.
Doué d’une grande capacité adaptative, ce diptère se propage par ses
œufs que les femelles pondent en général dans des eaux stagnantes.
Par ailleurs, l’activité des tiques du genre Ixodes est maximale à des températures douces. La fréquence des encéphalites transmises par ces insectes devrait donc s’élever avec le réchauffement climatique (voir Tableau 1).
Tableau 1.Liste des arboviroses dont l’incidence est susceptible d’augmenter avec le changement climatique
2.2.2. Quelques exemples de maladies vectorielles
Premier exemple d’arbovirose dont l’incidence augmente avec le réchauffement climatique est la Dengue [11], dont le virus est transmis par Aedes aegypti et Aedes albopictus.
Cette maladie est observée dans les zones équatoriales d’Amérique,
d’Afrique et d’Asie. Les épidémies notifiées sur le globe et les cas en
Europe [12]
sont de plus en plus nombreux. Selon l’Organisation Mondiale de la
Santé, environ 2,5 milliards de personnes sont désormais exposées à ce
risque ; il y aurait chaque année 50 millions de cas de Dengue et 500
000 cas de Dengue hémorragique, dont une forte proportion d’enfants
nécessitant une hospitalisation. Les experts estiment que 3 milliards de
personnes en plus pourraient être exposées au risque de transmission de
la dengue d’ici les années 2080 [13].
Véhiculé par des moustiques du genre Culex, le Virus de West
Nile (WNV) est transmissible aux oiseaux et aux mammifères, dont
l’homme. Son émergence aux USA en 1999 et sa forte résurgence en 2012
militent pour un rôle du changement climatique dans cette région du
globe (Tableau 1 et Figure 5). Depuis son introduction en Amérique du
Nord, le virus a touché des millions d’américains : 780 000 sont tombés
malades et plus de 16 000 ont développé une encéphalite et 1549 en sont
morts [14] .
Pour certaines maladies virales, la hausse du nombre de cas est due à
la fois au réchauffement climatique et à des phénomènes liés au
changement global. Par exemple, en Amérique latine, la déforestation et
l’urbanisation ont modifié les caractéristiques épidémiologiques de la
Dengue. Cette maladie est passée d’un mode enzootique et sylvatique (forestier) à un mode endémique et urbain [15].
On peut se poser la question de savoir si la répétition à une échelle
de gravité croissante (au cours du temps) des épidémies de virus Ebola
en Afrique ou si l’émergence récente du virus Zika en Amérique latine ne
pourraient pas à être une des conséquences du changement climatique [16].
Figure 6. Émergence de différentes maladies infectieuses (virales et bactériennes) avec risques d’extension épidémique.
Mais il existe d’autres exemples de virus véhiculés par les moustiques du genre Aedes :
(i) L’infection due au Virus du Chikungunya a largement circulé en
Afrique et en Asie (Figure 6). Caractérisée par une douleur articulaire
fébrile, sa transmission locale a augmenté en Italie. Le moustique
vecteur est aussi largement présent en France.
(ii) L’infection à Virus de la Fièvre de la Vallée du Rift (RVFV) est
responsable d’épizooties chez le bétail. La promiscuité entre l’homme et
les animaux a accru le nombre de cas, avec une expansion vers le nord
(Arabie Saoudite) (Figure 6).
Concernant les agents du paludisme (Plasmodium vivax et Plasmodium falciparum) véhiculés par le moustique Anopheles gambiae,
des épidémies ont été observées au Kenya, notamment à des altitudes
supérieures à 2000 mètres où les températures dépassent 18°C et des
précipitations supérieures à 15 cm/mois [17].
Les populations immunologiquement naïves vivant dans les régions
d’altitude seront particulièrement exposées au paludisme en fonctions du
niveau de réchauffement dans ces zones montagneuses [18].
Multipliant le nombre de tempêtes et d’inondations, le phénomène climatique El Nino constitue un facteur de risque important pour les diarrhées infectieuses [19] et les gastroentérites dues aux norovirus [20].
Fait aggravant, il provoque des mouvements de population et une
promiscuité qui peut amplifier les transmissions inter-humaines, entre
hommes et animaux, et par les eaux souillées. Diarrhée épidémique causée
par la bactérie Vibrio cholerae, le choléra a été
particulièrement étudié (voir Figure 6). En effet, par une série de
mesures s’échelonnant entre 1980 et 1998, des chercheurs avaient
remarqué que l’incidence du choléra au Bangladesh suivaient des
variations saisonnières corrélées avec les oscillations des températures
liées au phénomène El Niño [21].
Au Bangladesh comme au Pérou, la dynamique du choléra est
effectivement liée aux oscillations d’El Niño ; ces dernières semblent
notamment liées à la ré-emergence du choléra au Pérou en 1991, les
bactéries se fixant sur le plancton et dérivant à travers l’océan
pacifique d’Ouest en Est.
Autre fait marquant en 2001-2002 : l’émergence en Malaisie du Virus
Nipah, responsable de fièvres hémorragiques gravissimes et mortel dans
70 % des cas. Un événement analysé comme l’action conjointe d’un
phénomène El Niño majeur en 1998 et d’intenses déforestations dans cette
région du monde [22].
Le virus a alors été véhiculé par des chauve-souris infectées fuyant
massivement les forêts dévastées. Ne développant pas de symptômes, elles
ont ensuite facilement contaminé les mammifères (ex : porcs) et en
particulier l’homme.
Les hantavirus sont un autre exemple de micro-organismes sensibles
aux variations climatiques, notamment aux pluviosités extrêmes. Ils
provoquent essentiellement deux syndromes chez l’homme : une fièvre
hémorragique avec syndrome rénal (en Asie et en Europe), et un syndrome
cardiopulmonaire (en Amérique du Nord) (Figure 6).
2.4. Quel impact sur l’eau et la nourriture ?
2.4.1. Un accès à l’eau de plus en plus contraint
Le caractère de plus en plus aléatoire des précipitations aura probablement des effets sur l’approvisionnement en eau douce (Lire Risquons-nous d’avoir une pénurie d’eau ?).
Or le manque d’eau salubre peut compromettre l’hygiène et augmenter le
risque de maladies diarrhéiques qui tuent près de 600 000 enfants âgés
de moins de 5 ans chaque année. Dans les cas extrêmes, la pénurie d’eau
aboutit à la sécheresse et à la famine. Et d’ici 2090, le changement
climatique devrait étendre les zones affectées par les sécheresses,
doubler la fréquence des sécheresses extrêmes et multiplier leur durée
moyenne par six [23].
Les inondations augmentent aussi tant en fréquence qu’en intensité.
Elles contaminent les sources d’eau douce, accroissent le risque de
maladies à transmission hydrique et créent des gîtes pour les larves
d’insectes vecteurs de maladies tels que les moustiques (voir plus
haut). Elles provoquent également des noyades et des traumatismes
physiques, endommagent les logements et perturbent les services de soins
et de santé.
2.4.2. Accès à la nourriture et malnutrition
Hausse des températures, incidences des événements climatiques
(dégradation des écosystèmes, dommages causés aux infrastructures et aux
établissements humains)… Tous ces facteurs auront des répercussions sur
la production alimentaire (Figure 7). Une étude récente de l’OMS
mentionne déjà une baisse de la production vivrière dans de nombreuses
régions parmi les plus démunies, jusqu’à 50% d’ici 2020 dans certains
pays africains [24].
Ces effets seront aggravés par l’élévation du niveau des mers, et la
contamination (ou salinisation) des réserves d’eau et des terres
agricoles.
Figure
7. Impacts globaux du changement climatique (horizon 2050) sur la
productivité des récoltes à partir de simulations enregistrées entre
1994 et 2010 [source : d’après Wheeler & von Braun, 2013].A
plus long terme, les changements climatiques risquent d’accroitre la
variabilité des rendements des cultures d’une année sur l’autre. Cela
risque de faire grimper les prix des denrées, alors même que les besoins
annuels de produits agricoles sont en hausse. De plus en plus d’experts
parlent d’insécurité alimentaire. Les projections les plus pessimistes
prévoient des réductions de rendements de 2% par décennie, alors même
que la demande mondiale devrait augmenter de 14% par décennie jusqu’en
2050. Au-delà, le risque d’incidences plus fortes sur le rendement
devrait encore augmenter et dépendre du niveau de réchauffement.
Globalement, il en résultera une fréquence accrue de la malnutrition et de la dénutrition, actuellement à l’origine de 3,1 millions morts par an [25].
2.5. Impact du changement climatique sur la santé mentale – réfugiés climatiques
Co-récipiendaires du Prix Nobel de la paix en 2007, Al Gore et les
experts du GIEC prévoient une hausse des pathologies liées au stress [26].
Stress, suicide… : les impacts des changements climatiques sur la santé
mentale ont été prouvés lors des vagues de chaleur ou de sécheresses
exceptionnelles [27].
Avec 250 millions de réfugiés climatiques estimés à l’horizon 2050, ces
pathologies seront aggravées par les mouvements de population dus à
l’élévation du niveau des mers et à la destruction des logements, des
établissements médicaux et d’autres services essentiels [28]. Rappelons que plus de la moitié de la population mondiale vit à moins de 60 km de la mer ! Les
populations touchées seront contraintes de se déplacer, ce qui
renforcera divers risques sanitaires, des troubles de la santé mentale
aux maladies à transmission respiratoires et digestives.
Par ailleurs, une étude récente [29]
suggère qu’aux États-Unis l’augmentation des températures ferait
augmenter le taux de suicide. L’étude, menée par une équipe de
chercheurs de la prestigieuse université de Stanford, a utilisé des
données sur les taux de suicide aux États-Unis entre 1968 et 2004 ainsi
que les taux mensuels de suicide au Mexique entre 1990 et 2010. Ceux-ci,
en comparant ces données avec les données de température et de
précipitations dans les comtés américains – à partir d’un outil de
cartographie climatique appelé PRISM – ont trouvé une relation très
cohérente entre les augmentations de température et l’augmentation du
risque de suicide.
2.6. Des microbes relargués par la fonte du permafrost ?
En aout 2016, un jeune garçon de 12 ans vivant dans la toundra
sibérienne est évacué d’une zone épidémique d’anthrax en Russie. Il
meurt à l’hôpital de la ville de Salekhard, capitale du district
autonome de Iamalo-Nénétsie, alors que vingt autres personnes sont
diagnostiquées avec la maladie. Le décès est bien relié à l’anthrax,
maladie infectieuse due à la bactérie Bacillus anthracis. Le
garçon avait la forme intestinale de la maladie, plus dure à
diagnostiquer. L’infection a ainsi refait surface en Sibérie occidentale
après 75 ans d’absence. Cet événement survient alors que des études
épidémiologiques suggèrent un rôle de la fonte du permafrost dans le
relargage des bactéries à partir de troupeaux de rennes (1,5 millions de
rennes) décimés par la maladie entre 1897 et 1925 en Sibérie, et
enfouis dans le permafrost [30].
Il est probable que les vagues de chaleur actuelles entrainent un
relargage des spores d’anthrax (forme de résistance de la bactérie) à
partir de ces zones d’enfouissement.
Les experts mondiaux scrutant cette région du globe (zones
péri-arctiques) particulièrement touchée par le réchauffement climatique
estiment plausible une augmentation spectaculaire de l’incidence
d’autres maladies infectieuses de type zoonoses (bactériennes :
brucellose, maladie de Lyme, leptospirose – virales : rage, fièvre à
Hantavirus, encéphalite à tiques, encéphalite de West Nile) [31].
2.7. Effondrement de la biodiversité et effets sur la santé de l’homme ?
Un aspect peu abordé dans les changements globaux et leurs impacts
sur la santé humaine concerne l’effondrement de la biodiversité dans son
ensemble (voir l’article « La biodiversité n’est pas un luxe mais une nécessité »).
Si déjà on distingue des effets sur les populations d’insectes et les
impacts sur certains vertébrés comme les oiseaux, les effets chez
l’homme sont beaucoup plus difficiles à apprécier. Pourtant des rapports
alarmants indiquent que la chute de la biodiversité mettra en danger
les économies, les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la
qualité de vie des populations partout dans le monde [32]. Selon d’autres sources [33],
la perte de biodiversité au sein de l’environnement naturel de l’homme
aurait un coût pour la santé et le bien-être humain, coût caché au
demeurant et transmis sans scrupule aux générations futures, mais
évaluable par les sciences économiques. Ce coût résulte principalement
de deux facteurs : d’une part la disparition de matériel biologique
utile à l’homme pour se nourrir et se soigner, et d’autre part le
dérèglement voire l’effondrement d’écosystèmes fonctionnels entraînant
la perte de biens et services « écosystémiques ».
Enfin, les effets des changements climatiques sur les
micro-organismes endogènes et environnementaux à la base de la vie sont
très largement inexplorés. Des études ponctuelles sur des vertébrés
montrent qu’une augmentation de la température entraîne une diminution
de la biodiversité de leur microbiome. De même l’acidification des
océans entraîne des modifications importantes du microbiome chez
certains invertébrés comme les éponges. Des hypothèses sérieuses
pointent sur la modification du microbiome intestinal humain (voir
l’article « Des microbiotes humains : des alliés pour notre santé »)
et l’émergence de dysbioses (pathologies liées au déséquilibre du
microbiome intestinal : ex. maladies inflammatoires de l’intestin,
obésité, diabète) en fonction des changements globaux (urbanisation
rapide, alimentation par « fast foods », vie sédentaire déconnectée des
environnements naturels, usage massif d’antibiotiques, stress
thermique).
3. Conclusion : Santé, changement climatique & changement global
Dans ce chapitre nous avons tenté de montrer les effets les plus
évidents du changement climatique sur la santé de l’homme. Deux points
sont à souligner. Tout d’abord, la mesure des effets du changement
climatique sur la santé ne peut être que très approximative, notamment
sur les effets graduels par opposition aux événements extrêmes type
canicule (ex. impact sur les maladies vectorielles). Ceci est
essentiellement dû au côté « imprévisible » des agents infectieux.
Figure 8. Changement global et impact sur la santé des populations [source : d’après AJ McMichael 2013].Le
changement climatique, déjà complexe dans sa nature, est concomitant à
un changement global de nos modes de vie (Figure 8). Ceci rend parfois
illusoire certains modèles prévisionnels utilisés afin d’anticiper les
situations.
En revanche, voici ce dont nous sommes certains au sujet de l’impact du changement climatique sur la santé [4] :
Hausse du nombre de cas annuels de décès ou d’hospitalisations
causés par des coups de chaleur, aussi bien dans les pays riches que
pauvres ;
Extension géographique des maladies infectieuses vectorielles ou de leurs vecteurs (ex. paludisme d’altitude) ;
Augmentation des épidémies de choléra sur les régions côtières en lien avec El Niño ;
Hausse du prix des denrées alimentaires, notamment dans les pays
souffrant de précarité, aboutissant à des privations alimentaires dans
les foyers à faible revenu (trappes de pauvreté).
Le changement climatique aura donc des répercussions très négatives
sur la santé et les effets du changement global les accentueront. Toutes
les populations ressentiront les effets du changement climatique, mais
certaines sont plus vulnérables que d’autres, par exemple :
Celles qui vivent dans de petits états insulaires, ou dans d’autres
régions côtières, dans les mégapoles, dans les régions montagneuses et
dans les zones polaires sont particulièrement vulnérables.
Les enfants, en particulier ceux qui vivent dans les pays pauvres,
sont parmi les plus vulnérables aux risques sanitaires qui vont en
résulter et seront plus longtemps exposés à en subir les conséquences.
Les effets sanitaires devraient être aussi plus graves pour les
personnes âgées et les sujets présentant des infirmités ou des états
pathologiques préexistants.
Selon l’OMS, les zones n’ayant pas de bonnes infrastructures de
santé, pour la plupart dans les pays en développement, seront les moins
en mesure de se préparer et de faire face à la situation sans
assistance. Si un gros effort d’atténuation n’est pas entrepris, il va
arriver un moment donné où l’adaptation des systèmes de santé (ex. coups
de chaleur) ne sera plus possible. La seule attitude responsable,
désormais, serait un changement radical de nos modèles économiques et de
nos modes de vie en société. C’est devenu une question de vie ou de
mort, pour l’humain comme pour la biodiversité dont sa santé dépend très
directement.
Références et notes
[1]
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Sokona, E. Farahani, S. Kadner, K. Seyboth, A. Adler, I. Baum, S.
Brunner, P. Eickemeier, B., Kriemann JS, S. Schlömer, C. von Stechow, T.
Zwickel and J.C. Minx editors (2014), Climate Change 2014, Mitigation
of Climate Change Contribution of Working Group III to the Fifth
Assessment Report (AR5) of the Intergovernmental Panel on Climate
Change. Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, Cambridge
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Pour citer cet article: DROUET Emmanuel
(2020), Changement climatique : quels effets sur notre santé
?, Encyclopédie de l’Environnement, [en ligne ISSN 2555-0950] url :
https://www.encyclopedie-environnement.org/sante/changement-climatique-effets-sante-de-lhomme/.
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