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Libération: La foret n'est pas celle que vous croyez

https://www.liberation.fr/planete/2019/08/27/la-foret-n-est-pas-celle-que-vous-croyez_1745126

Vue à l’intérieur du parc national des Forêts de Champagne et Bourgogne, en 2017.




Libé des forêts

La forêt n’est pas celle que vous croyez

Par Coralie Schaub , Aurélie Delmas et Aurore Coulaud




Vue à l’intérieur du parc national des Forêts de Champagne et Bourgogne, en 2017. Photo Philippe Desmazes. AFP

Si les forêts françaises se portent plutôt bien et voient leur surface augmenter d'année en année, elles n'en restent pas moins menacées par le réchauffement climatique et les pratiques humaines. Décryptage.

Pour la grande majorité des Français, la forêt est avant tout un lieu de promenade, propice à la détente, à l’imaginaire voire à la cueillette. Mais savent-ils qu’en France métropolitaine, la plus grande partie de la forêt est privée ? Si l’on dénombre plus de 3 millions de propriétaires, 50 000 d’entre eux possèdent environ 52% de la surface forestière privée et assurent les trois quarts de la commercialisation de bois, comme le rappelle le Programme national de la forêt et du bois (PNFB) publié en 2017. La forêt publique, qui représente 25% du total, produit, elle, 40% du bois vendu. Derrière l’image bucolique se cache une réalité économique et sociale complexe.

La forêt métropolitaine se porte-t-elle bien ?

Oui, la forêt, qui couvre autour de 30% du territoire, va plutôt bien. «Elle s’est étendue en surface et elle a tendance à produire plus en raison de l’augmentation du CO2 qui la fertilise, mais elle subit des menaces graves», précise Hervé Jactel, directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et spécialisé dans l’écologie forestière. Selon l’inventaire forestier 2017 de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), la superficie forestière en métropole augmente de 0,7% par an depuis 1985, notamment en raison de la déprise agricole : de 14,1 millions d’hectares, on est passé à 16,9 millions. Une avancée qui bénéficie d’abord à la Bretagne et au pourtour méditerranéen.
Dans le détail, la forêt française est composée de 136 essences d’arbres, dont une majorité de feuillus, comme les chênes ou les hêtres, et environ un tiers de résineux. Mais, toujours selon l’IGN, treize espèces occupent 82% de la place, et 17% des forêts ne sont composées que d’une seule essence. Le nombre d’essences utilisées par la filière bois a tendance à se réduire, les feuillus séduisant de moins en moins. Dans son documentaire Le Temps des forêts, François-Xavier Drouet montre d’ailleurs l’expansion croissante des pins douglas, ces conifères originaires d’Amérique du Nord à la croissance express et à fort potentiel économique qui ont été massivement plantés ces dernières décennies, par exemple dans le Morvan.
Or les menaces qui pèsent sur la forêt, notamment sur les pins, les sapins ou les épicéas, rendent sa diversité indispensable. Non seulement le changement climatique risque d’engendrer des épisodes de sécheresse plus fréquents, mais on note aussi la présence exponentielle d’espèces invasives favorisées par la hausse des températures ou les importations. Enfin, l’urbanisation et les infrastructures périurbaines ont tendance à grignoter les forêts. «On est dans une période de bascule, les forêts françaises ne sont pas loin du moment critique où s’enchaînent et se superposent des événements de dépérissement liés à ces menaces. La courbe qui augmentait va probablement chuter et nous allons voir arriver la décroissance de la production, voire de la qualité des forêts», met en garde Hervé Jactel qui rappelle que «les forêts mélangées sont à la fois plus productives et plus résilientes». Une mise en garde qui n’implique absolument pas de mettre la forêt sous cloche, au contraire : l’homme a tout son rôle à jouer pour aider la forêt à s’adapter au plus vite.

Des intrants chimiques sont-ils déversés dans les forêts ?

En octobre dernier, l’Office national des forêts (ONF) annonçait qu’il y aurait désormais «zéro glyphosate en forêt publique». «Par anticipation sur l’évolution prévisible des réglementations, la mise en œuvre des plans de gestion en forêt publique se fera désormais sans utilisation du glyphosate. Les stocks seront détruits conformément aux procédures d’élimination des déchets dangereux», indiquait l’entreprise publique. La décision visait à calmer les esprits, après la révélation, l’été 2018, de plusieurs cas d’utilisation en forêt de cet herbicide controversé, classé «cancérogène probable» par l’Organisation mondiale de la santé. Notamment dans les Landes, où un apiculteur, cité dans l’ouvrage Main basse sur nos forêts de Gaspard d’Allens (Seuil, 2019), a dû jeter toute sa récolte de miel d’automne, soit plus d’une tonne, à cause d’un taux de contamination au glyphosate deux fois supérieur à la norme autorisée. Les parcelles voisines appartiennent à la première coopérative forestière française, Alliance forêt bois, par laquelle passe «15% du bois commercialisé au sein de la forêt privée» du pays et devenue, selon Gaspard d’Allens, «le chantre de l’industrialisation de la filière». Il s’agissait donc, dans ce cas, de parcelles appartenant à des propriétaires privés, en dehors de la responsabilité de l’ONF.L’utilisation de pesticides en forêt est un sujet tabou et peu documenté. «Les traitements phytopharmaceutiques sont très rares en forêt publique, puisqu’ils ne concernent annuellement que 0,02% des surfaces», assure l’ONF. Mais au-delà, pour ce qui concerne notamment les forêts privées, «pour les plantes sauvages, il n’existe pas de réglementation sur les pesticides, écrit Gaspard d’Allens. Contrairement à l’agriculture, il n’y a pas de quantité limitée, de normes, ou un cahier des charges». L’ONG les Amis de la Terre le confirme : «Il est très difficile d’avoir des chiffres précis sur les quantités utilisées. Ces pratiques sont même tolérées par la certification PEFC [Programme de reconnaissance des certifications forestières, ndlr] qui est pourtant censée garantir une gestion durable des forêts.» L’ONG estime que plus de 70 herbicides, fongicides et insecticides sont autorisés dans les forêts françaises, «comme le Fusilade Max, le Tchao Plus ou encore le Barbarian». Ils servent à dégager les parcelles, «nettoyer» les allées de monocultures de pins, dévitaliser les souches, ou encore exterminer des insectes… dont la prolifération est favorisée par les coupes rases. Comme le SuxonForest, un insecticide contenant de l’imidaclopride, un néonicotinoïde «7 000 fois plus toxique que le DDT», rappelle Gaspard d’Allens, qui décime tellement les abeilles que l’insecticide Gaucho, qui en contient, a été interdit en agriculture…

Le bois est-il un secteur économique rentable ?

D’après le ministère de l’Agriculture, la filière forêt-bois représente 440 000 emplois directs et indirects, 60 milliards de chiffre d’affaires et 38 millions de mètres cubes de bois commercialisé, transformé en bois d’œuvre, bois d’industrie ou bois-énergie.
Oui mais voilà, la filière, fortement importatrice, accuse un déficit commercial chronique d’environ 6 milliards d’euros par an, rappelle le Programme national de la forêt et du bois (PNFB), qui évoque pudiquement «les fragilités de la filière». En cause, la vente du bois non transformé à l’étranger, l’importation de bois transformé, et la mauvaise valorisation du bois d’œuvre des feuillus dont le marché est à la baisse. Et la situation n’est pas en voie d’amélioration. Comme le précise une note du ministère de l’Agriculture portant sur l’année 2017, les importations se sont élevées à 16 milliards d’euros (+4,1% sur un an) et les exportations ont atteint 9,6 milliards (+2,5%) et «le déficit s’accroît dans tous les secteurs des produits transformés».

La forêt française est-elle menacée par le dérèglement climatique ?

Oui, car on sait que le réchauffement climatique est très rapide et à l’origine de la multiplication des épisodes de canicule majeurs et rapprochés dans le temps, qui eux-mêmes génèrent de la sécheresse. Cette sécheresse, plus présente, menace les ressources en eau dont les arbres ont besoin. Ainsi, dans les Vosges, des sapins et des hêtres ont pris une couleur rouille. Cette sécheresse affaiblit dans son ensemble la forêt, la rendant plus sensible aux aléas mais aussi aux ravageurs et pathogènes avec la crise des scolytes sur les épicéas dans l’est de la France, par exemple. Elle est aussi moins efficace pour absorber le CO2. Sans oublier la potentielle recrudescence des incendies, dévastateurs pour la biodiversité, qui pèse encore plus sur la forêt méditerranéenne. Moins d’arbres, c’est aussi un sol fragilisé et instable, des crues, des éboulements et des coulées de boue qui ne seront pas entravées.
Reste que la forêt française est diverse, et possède plus de 130 espèces différentes, ce qui lui donne «une capacité de résilience face aux menaces», rappelle Olivier Picard, directeur de la recherche et développement au Centre national de la propriété forestière (CNPF) et coordinateur du réseau Aforce, qui travaille sur les solutions d’adaptation des forêts au changement climatique. Certaines essences plus résistantes à la chaleur et la sécheresse prendront temporairement ou définitivement la place de celles qui n’arrivent pas à s’acclimater. Peut-être verrons-nous le chêne sessile ou pubescent supplanter le chêne pédonculé. Quoi qu’il en soit, l’une des solutions réside dans la diversification des peuplements. Compte tenu de la rapidité de ce changement peu compatible avec la vitesse naturelle de migration des espèces, il faudra tester d’autres solutions comme la migration assistée, et l’implantation d’espèces plus méditerranéennes en France, par exemple. Le mélange des gènes pourrait aboutir à améliorer l’adaptation des espèces au nouveau climat.
«Il ne s’agit pas de modification génétique, ni même d’hybridation, mais d’aller chercher les bons génotypes des arbres du sud qui résistent mieux à la sécheresse», explique Hervé Jactel. Des zones test ont d’ailleurs été lancées afin d’observer les comportements. «On fait des projections dans le futur avec des modèles qui définissent des zones à enjeux où on a notamment commencé à remarquer des signes de dépérissement», explique Brigitte Musch, du département recherche et innovation sur la génétique à l’ONF. C’est le cas de Loches, où on va installer dans des îlots d’avenir des chênes plus méditerranéens, comme le chêne des volcans. Difficile de savoir comment tout va évoluer dans les cent cinquante prochaines années. Mais à terme, on peut penser que la physionomie de nos paysages aura quelque peu changé.

Planter des arbres peut-il permettre de sauver le climat ?

Par principe, planter des arbres est une bonne idée. Mais ce qu’on appelle la «compensation carbone» peut parfois relever de la «fausse bonne idée». Tout d’abord, les promoteurs de la compensation prennent le risque de laisser entendre qu’il ne serait plus indispensable de réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Ensuite, les projets de compensation sont souvent réalisés dans des pays lointains des pays pollueurs et ne tiennent pas forcément compte des impératifs de diversité évoqués plus haut. Enfin, le fonctionnement des cycles forestiers implique de réfléchir sur le long terme : planter de nouveaux arbres ne dédouane pas de conserver les vieux arbres. «Il faut garder les vieilles forêts vénérables avec beaucoup de carbone stocké mais aussi créer de nouvelles forêts avec une diversité d’essences», résume Hervé Jactel. Car si les nouvelles forêts permettent d’envisager de nouvelles capacités de stockage du carbone, ce sont les sols et les gros arbres qui conservent le plus de CO2 dans leurs racines, leur tronc et leurs feuilles plus étendus.
Enfin, la diversité et la robustesse des arbres entrent en compte. Les arbres les plus vulnérables face aux sécheresses prolongées pourront même devenir occasionnellement émetteurs de carbone : «Pour éviter de se déshydrater, les feuilles ferment leurs stomates, ces pores par lesquels elles transpirent. Mais ce faisant, elles cessent d’absorber du CO2. Elles n’en continuent pas moins de respirer et donc de produire du CO2. Ainsi, lorsque les pluies font durablement défaut, la fonction de puits de carbone de la forêt est gravement perturbée», décrypte l’Inra sur son site internet. Ce phénomène peut aussi intervenir si des parasites s’attaquent au feuillage ou lors d’un incendie qui libérera dans l’atmosphère le CO2 accumulé au fil des années. Quant aux sols des forêts, ils peuvent accumuler plus de carbone encore que les troncs et les branches des arbres, à condition que la matière organique ait le temps de s’y dégrader.
Coralie Schaub , Aurélie Delmas , Aurore Coulaud